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La prononciation de la diphtongue ai semble avoir évolué, en France, depuis le XVIe siècle, en sens inverse de celle de l'é accentué, la tendance étant de fermer la dipthongue et d'ouvrir la voyelle : balai, par exemple, est devenu balé, tandis que pére fait aujourd'hui père.
La diphthongue ai est restée ouverte, en Acadie, dans la plupart des mots où elle s'est fermée en France. Nous prononçons remblài, balài, vrài, quài, relài, làit, vrài, comme nous disons marais, paix, exprès, c'est à dire comme si ces mots étaient écrits avec un accent grave ou circonflexe. Notre manière, autant que je le puis constater, est celle qui prévalait au temps de Henri IV, en France.
Nous prononçons, cependant, avec un accent fermé: J'ai (jé) baie, brai, geai, mai, à la manière du Conservatoire.
Il n'est guère probable que la prononciation ait beaucoup varié, de ce côté-ci de l'Atlantique, et les fondateurs de l'Acadie ont dû transmettre à leurs fils la prononciation même qu'ils tenaient de France.
A Paris, sauf au Conservatoire, peut-être, le prétérit imparfait, j'aimais, se distingue à peine du prétérit défini, j'aimai. L'un, le dernier, est un son tout à fait fermé, l'autre, presque.
Il est impossible, en Acadie, de confondre ces deux temps du verbe ; le son en est ouvert à l'imparfait, j'aimè, j'allè, et bien fermé, au passé défini, j'aimé, j'allé1. Il en est de même du futur et du conditionnel. Le son é de l'un se distingue clairement du son è de l'autre : j'aimré, j'iré, au futur ; j'aimerè, tu aimerè, il aimerè, au conditionnel.
Le son ai semble avoir évolué, en France, au moins dans le dialecte bourguignon, entre celui d'un é fermé, d'un e moyen, d'un è ouvert, et même d'un ê très-ouvert. Il oscille, chez les Acadiens. Ceux du Nouveau-Brunswick disent : faire, taire, comme si le mot était écrit avec un è surmonté d'un accent circonflexe ; à la baie Sainte-Marie et à Pobomcou, en la NouvelleEcosse, il est plus fermé : fére, affére ; tandis que, devant la

1. – Le passé défini n'est guère en usage chez les Acadiens ; ils emploient de préférence le passé indéfini : j'ai aimé (j'é émé), j'ai été, etc.,




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.