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qui ont varié dans le même mot français, ils ont en plus, dans certains cas, imprimé aux mêmes mots, une signification qui change selon que la syllabe est brève, longue, ou prend la forme de ou. Ce champ, assez circonscrit, de la sémantique, mériterait peut-être une étude particulière.
Prenons l'accusatif latin populaire rotulum (radical rota, roue) où, après la chute du t médial, il est resté ro-ulum, dont un grand nombre de vocables français : rouler, rouleau, rôle, rôler, enrôler, contrôler, roulis, roulier, dérouler, etc., sont sortis.
Les dérivés de rota, ou de rotula, d'un côté, et de rotulum, de l'autre, en admettant l'étymologie reçue, ont, en Acadie, une signification différente, selon que la voyelle radicale se prononce o, ô, et ou.
Dans les mots qui s'écrivent par un ô long et par un ou, dans rôle, rouleau, enrôler, rouler, roulis, roulette, par exemple, le sens est le même en Acadie qu'en France. Mais à côté de rôle, rouleau, rouler, nous avons roue, rolon, roller, où l'o est bref et la signification du mot, différente.
Nous roulons une barrique ; une voiture roule lourdement ; nous nous roulons nous-mêmes par terre, comme on fait dans le royaume de France et de Navarre ; mais nous rollons nos manches de chemises et le bas de nos pantalons ; nous rollons notre adversaire1, ou, ce qui revient au même, nous en faisons notre roue, ce qui veut dire que nous en venons facilement à bout.
Rollon, cas rigime, est le doublet de rouleau ; mais un rollon est plus long qu'un rouleau ordinaire. On place des rollons sous un corps lourd que l'on veut mouvoir, ou mouver2, comme nous disons. Pour rendre un chemin praticable, dans un passage marécageux, on se sert de rollons juxtaposés et placés en travers. Ces chemins sont appelés aujourd'hui, par les Anglais chemins de corde-de-roy.
Nos écardeuses (cardeuses), d'un autre côté, roulent la laine en rollons, qu'elles appellent aussi des écardons.

1. – " Ha ! ribault, es-tu là ? Tu me fais desplaisir, mais je te rollerai " (battrai). DU CANGE.
2. – En anglais to move, prononcé mouve.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.