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un Italien. Chacun parlera latin avec une prononciation tout à fait différente 1.
Le son cacuminal de tch nous vient peut-être du latin. Il n'est pas sans quelque vraisemblance que nous le tenions à la fois et du latin et du celtique. Cette voix existe dans à peu près toutes les langues humaines, à l'exception du français officiel, revu, corrigé, affiné, poli et considérablement appauvri, par les grammairiens qui régnaient à Paris, dans la première moitié du XVIIe siècle 2.
Le secrétaire officiel qui transcrivit le serment échangé, à Strasbourg, en 842, entre Charles le Chauve et Louis-le-Germanique, écrit cadhuna, prononcé chacun, à la Comédie française, cacun, en Picardie et quelque chose comme shatchun dans un congrès d'Acadiens.
Quel son précis d' hun prétend-il rendre ? Ce n'est évidemment pas le c dur latin, ni celui du français moderne, dans cun. Cette graphie insolite du scribe révèle l'effort qu'il fait pour rendre un son insolite, ou plutôt intraduisible, avec l'alphabet qu'il avait à sa disposition. Et pourtant ce son était alors, était au moyen-
1. – On raconte qu'au Congrès de Berlin, tenu, en 1878, par les plénipotentiaires des grandes puissances, pour la révision du Traité de Saint-Stéphano, imposé à la Turquie par la Russie victorieuse, Bismark, ayant demandé, au nom de son maître, l'annexion de l'île de Chypre à l'Allemagne, Beaconsfield, plénipotentiaire de la reine Victoria, dit à demi-voix à Waddington, ambassadeur de la République française, son voisin Casus belli, prononce en anglais, caisoss bellaille. - " Que dit-il, demande le voisin de Waddington ? - Kaisos bellaye.- Le mot fit le tour de la table verte, sans être compris, chacun le sentant formidable. Arrivé à Bismark, qui présidait : " Ah ! casous belli, prononça-t-il, à l'italienne, en éclatant de rire. 11 n'y a rien comme de s'entendre et surtout de se comprendre, ajouta-t-il, en reprenant son sérieux.
Pour obvier aux inconvénients d'une confusion de langue, qui n'est pas sans rappeler celle de la tour de Babel, Léon XIII, décréta, pour les fins du culte, l'uniformité de la prononciation du latin dans toute la chrétienté. Ce qui est surprenant, ce n'est pas la proproi motu de ce saint pape ; c'est que Rome ait attendu tant de siècles pour le lancer et statuer cette discipline.
2. – " A partir du XVe et du XVIe siècles, la pédanterie des érudits... a altéré l'orthographe et la prononciation habituelle de beaucoup de mots français, " DARMESTETER, Grammaire Historique, p. XII.
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