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nonce aujourd'hui par les Anglais, qui l'ont pris des Normands, au XIe siècle ; que Deus se prononçait Djeus ; aiudha, adjuda ; cadhuna, catchuna ou chatchuna. Ce qui me le fait supposer, c'est que les Acadiens prononcent ces mots : cretchien, Djieu, adjide ou aïde et shatchun.
Comment doit-on prononcer chief, chielt, que l'on trouve dans la cantilène d'Eulalie ? Nous disons avec les Français : chef, mais les Anglais disent chief, avec une shuintante palatale très forte. La prononciation de ce mot, en langue anglo-normande, nous ramène à celle du XIe siècle . Ne serait-ce pas la bonne, étant la plus ancienne ?
Et comment se prononçait ca, dans le mot latin caput, dont chef et chief sont sortis1. Il semble que si le c latin était dur devant les voyelles a, e, o, u (et l'était-il toujours?), il chuintait devant i suivi d'une autre voyelle, et peut-être aussi devant la diphtongue ui.
Quand les maîtres nous disent que le " changement du k en ch ou tch, est un des plus naturels ; qu'il a lieu du latin à l'italien : Cicero (prononcé kikero), cicerone (prononcez tchichérone) ; de l'ancien saxon à l'anglais : kerk, church, (prononcez tchurch) ; du latin à l'ancien français : cadere, choir ; de l'ancien français au français moderne : keval, cheval, ne font-ils pas une loi de ce qui n'est peut-être qu'un accident, attribuable, par exemple, à l'influence occulte, si je puis dire, du celtique, tout comme, avant Laverrier, on attribuait à des causes imaginaires certaines pertubations astronomiques causées par la proximité de la planète Neptune, dont les astronomes ne soupçonnaient pas l'existence.
Notre ignorance de la véritable prononciation du haut celtique ne nous permet pas de mesurer l'influence exercée par le parler indigène de la Gaule sur la prononciation première des

1. – C est tantôt dur, dans ses dérivés français et tantôt il s'adoucit. Caput, radical cap, cappe, capot, capote, caboche et aussi chape, chapeau, chapitre, capuchon, etc. ; campus, nous a laissé cant (canter) et champ. Nous avons chevalier et cavalier; charger et carguer; chanson et cantique; chapon et capon ; charnel et incarné ; charte et carte ; chasser et casser, etc. Le c dur est surtout picard, aujourd'hui.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.