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Or, pour faire l'application de cette règle aux mots français terminés, dans les traités de grammaire d'aujourd'hui, en al et en aux : cheval, dérivé de caballum, devrait s'écrire régulièrement, au singulier, un chevau1 et, à l'accusatif pluriel des chevaus.
La consonne 1 que nous trouvons dans chevals, n'y entre, ou n'y est restée, que pour rappeler l'l de caballum, dont elle dérive. Dans la langue parlée, elle se fondait avec la voyelle a dont elle était précédée, pour se vocaliser en au, l's de aus n'étant lui-même qu'une relique étymologique atone. Ni l'l médial, ni l's final, ne se faisaient entendre ; l'un et l'autre s'étalant pour les yeux.
D'où il suit que, de quelque manière qu'on le trouve épelé, avec ou sans 1, cheval se prononçait chevau, tant au singulier qu'au pluriel : un chevau, des chevaus2.
Le peuple de France, ou d'Acadie, qui dit un animau des animaux (orthographe officielle) parle comme on parlait dans la banlieue de Paris, au moyen-âge, et comme on a continué d'y parler, jusqu'au XVIIe siècle. Avec le gamin de Paris qui dit encore aujourd'hui un animau, l'habitant du Berri et celui de la Bourgogne disent mon chevau, le picard mon kevau et le Wallon belge, mon chevâ, ou mon chivâ. Les Acadiens ont dit, apparemment, mon chevau, un chevau, etc., avant de dire, comme aujourd-hui, mon cheval, un chenal, amiral3, fanal.
La même règle peut s'appliquer à château, tonneau, marteau, appareil, etc., c'est-à-dire à la presque totalité des substantifs terminés, aujourd'hui, en al, el, eil, euil, eau, au, eu, que nous prononçons, ici, de la même manière au pluriel qu'au singulier. Il y a gros à varier que telle était également la manière de prononcer ces mots dans l'ancienne langue.
Les Acadiens disent aussi un écureau (écureuil), des écureaux,

1. – " Puisque il sont as chevals et as armes ". Chanson de Roland.
2. – Le français a conservé de l'ancienne langue chevau-léger, qui non seulement se prononce, mais s'écrit de la même manière au singulier qu'au pluriel : un chevau-léger, des chevau-légers. 11 n'y a pas ici à se méprendre.
3. – Amiral a donné le nom propre Amirault, où l'l est muet.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.