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un chevreu (chevreuil) des chevreux, un bocau, des bocaux1.
L'usage populaire demandant l'uniformité de son final entre les pluriels et les singuliers, dans les mots tirés du cas régime latin ellum, allum, ellos, allos, s'est maintenu dans un certain nombre de substantifs et d'adjectifs de la langue officielle. L'Académie sanctionne, au pluriel, bals, chacals, pals, napals, régals, carnavals, etc., parmi les substantifs, et fatals, finals, etc., parmi les adjectifs. C'est le pluriel acadien chevals, presque réhabilité2.
D'un autre côté, boyau, tuyau, noyau, etc., suivent, à l'Académie française, la règle du gamin de Paris et du fermier acadien, qui disent un animau, des animaux. De fait, il n'y a pas dans tout ceci de règle, à proprement parler ; il y a d'un côté, l'euphonie, la consonnance, l'uniformité, recherchées par le peuple et, de l'autre, l'arbitraire, imposé par les pédants3.

M

La consonne m, a conservé, en Acadie, le son nasal que lui donne l'Académie, son inarticulé, incolore, éventé, dépourvu de timbre musical.
Il est à remarquer que non seulement m, mais n et presque toutes les consonnes, tendent à s'amuisser en passant du latin au français.
La plupart même, à la fin de certains mots, tombent tout à fait, deviennent atones, comme c dans tabac, f dans cerf, g dans

1. – Un bocau signifie une grosse barrique, en Acadie : un bocau de melasse. On a écrit bocal, bocar, jusqu'au XVIIe siècle, d'où une longue discussion entre les savants. Ils n'admettaient pas bocau. Bocau a dû, cependant, exister, au moins dans le langage dialectal, quoiqu'on ne le retrouve guère dans les écritures. De même qu'il y eut arsenal, arsenac, arsenâ, estomal, estomac, brancal, brancar et brancâ, il doit y avoir eu boca ou bocau parmi le peuple. Les Acadiens, en tous cas, ont importé un bocau et des bocaus de France.
2. – " Le peuple dit encore à Paris :... des amirals, des caporals, et dans certains milieux encore plus illettrés, des journals, des oeils. " DAUZAT.
3. – Le français académique est rempli d'incohérences, dues aux tâtonnements des grammairiens cherchant leur voie, dans les fouillis des als, des els, etc. A côté de cou, (du latin collum), nous trouvons col, faux-col, collet, colporter, décoller ; à côté de fou : folle, affoler, folâtrer.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.