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Dictionnaire de l'Académie, entre l'n final dégagé d'incrustations étrangères et l'n agrémenté d'un g parasitique, se continue parmi les Acadiens.
La prononciation presque universelle des mots terminés en ain, in, est celle du Conservatoire : main, andain, examen, pain, besoin, etc.
Mais dans certaines localités du Nouveau-Brunswick et de l'île du Prince-Edouard, l'on entend, comme on entendait dans le dialecte bourguignon et picart, aux XVIe et XVIIe siècles, et même plus tard : desseing, mataing, dedaing, etc., pour dessein, matin, dédain, etc.
L'Académie Française veut que l'on dise et écrive gain, malgré les vieux auteurs qui disaient et écrivaient gaaing, gaing. Nous disons gâgne : il y a du gâgne à faire dans cette entreprise. Qui a raison ? l'Académie, sans doute ; quoique, pour former le verbe gagner, elle ait dû revenir au substantif gagne, aujourd'hui condamné et perdu en France, mais conservé parmi les Acadiens1.
Fait assez curieux, à côté de gâgne, nous avons regain, prononcé redjain. Ces deux mots sortent d'un même radical, qui a signifié d'abord pâturage, puis profit tiré de la moisson.
La nasalisation de l'n et de l'm donne un son vide de timbre. Un auteur dont j'oublie le nom, la comparait au grognement d'un cochon.
Aux oreilles étrangères, dans tous les cas2, gagne sonne plus musicalement que gain et montagne, ou montaigne, que montain Mais on ne refait pas une langue classique. Celle de France a été arrêtée trop tôt et trop arbitrairement dans son développement, voilà tout.
Paris avait, autrefois, peut-être l'a-t-il encore, ce que les classificateurs de la langue appellent le g épenthetique : cri-

1. – Montaigne, plus logique, nous donne gaigner, qui est formé du substantif gaing : " Que l'auteur puisse gaigner cela. "
2. – Nous disons " dans tous les cas " pour " en tout cas ". En tout cas se dit ici pour " en cas " : En tout cas qu'il vienne.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.