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Cette prononciation, sinon cette graphie, remonte aux premiers âges de la langue. Elle persistait encore, à Paris, au XVIIe siècle. Maupas, qui vivait vers le temps où l'Acadie fut fondée, nous enseigne qu'il faut prononcer pla-y-e, et Vaugelas, son contemporain, nous apprend aussi, de son côté, que l'on prononçait player à la cour, " pour plus grande douceur". Avant de faire plier et ployer, le radical latin plicare, a donné pleier à la langue1. Nous disons et prononçons pléier.
Les grammairiens de cette même époque discutent si a, au subjonctif, se prononce a ou e ; mais ils reconnaissent tous l'existence de l'y demi-consonne, telle qu'on le retrouve aujourd'hui en Acadie.
Cet y se fait également entendre, ici, dans certains mots, d'où l'orthographe officielle l'a banni, comme dans suppléer, gréer, etc., que nous prononçons supple-y-er, gré-yer2.
Ce terme marin, greyer, passé dans la langue courante, trouve chez nous de nombreux emplois.
Le substantif emploi, prononcé ici comme en France, nous a lui-même donné le verbe empleyer, pour employer, qui fait, au subjonctif, que j'empleye et à l'impératif, empleye.
On constate la présence d'un yod palatal dans certains autres mots acadiens, dans , par exemple, qui se dit quelquefois e-you, comme dans cette réponse interrogative :
- Dis-lui de me rencontrer de soir, à neuf heures.
- E-you ? (pour ?)3. Yous qu'il est ? Pour où est-il ?
Comme au temps de Louis XIV, en France, y se dit, ici, en certains cas, pour lui. Vaugelas nous apprend qu'à la cour même,

1. – " Ne ule cose non la pouvet omque pleier. " (Eulalie). Aucune chose la pouvait jamais ployer. Dans l'ancienne langue, ployer se prononçait pléyer, comme aujourd'hui en Acadie.
2. – " Que le défault de la foiblesse de mon savoir soit soupleyé. " Christ de PISAN, XVe siècle.
3. – On dit évou, au Berri, et aussi en quelques endroits de la Province de Québec.
Dans diable que nous prononçons djable, comme on l'a vu, le d disparait également chez le paysan canadien, mais c'est pour faire place à un yod palatal : yable. Qui nous dira l'exacte manière dont se prononçait la syllabe diâ, dans diabolus, à Rome, sous les divins empereurs ?




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.