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traits lumineux les profondeurs du ciel et le jeu éblouissant des lances dans les tournois.
Ils avaient, pour désigner les phénomènes célestes, d'autres appellations, presque toutes gracieuses et typiques, apportées avec eux de France, et que leurs descendants ont religieusement conservées. L'arc-en-ciel est aussi appelé l'étendard du Bon Dieu ; c'est un dragon1, quand une seule de ses extrémités est visible ; un oeil-de-bouc, quand les deux le sont, pendant que le sommet reste caché derrière les nuages.
Le tonnerre, avec le bruit qu'il fait, est bien ici, comme en France, le tonnerre ; mais les éclairs sont des éloëzes2, et ce que les Canadiens entendent par éclairs de chaleur, s'appelle du feu chalain3, en Acadie.
Quand la foudre n'est pas accompagnée de feu, on dit que le tonnerre tombe en pierre.
La terminologie astronomique en usage, en Acadie, n'a rien de bien particulier. Qu'une comète s'y appelle une étoile à grand queue, il n'y a là qu'une image parfaite de ressemblance, une équation entre l'objet et les mots qui le décrivent.
La Charrue, la Grand-chaise, pour la Grande Ourse, sont des images moins parfaites. L'une et l'autre, cependant, remplacent avantageusement Chariot, mot qui, en français, désigne la même constellation.
Il serait mal aisé de trouver de l'analogie entre une autre constellation, les pléïades, et le nom de poucinière (ou poussinière) que lui donnent les Acadiens. Poucinière doit leur venir de France.

1. – Un arc-en-ciel brisé est un signe menaçant, précurseur de mauvais temps. Un dragon d'eau était, anciennement, une sorcière de vent, une trombe.
2. – " Eloëse : A lightning ". COTGRAVE.
Rien que de lumineux dans les racines de ce mot, soit qu'on le fasse ultimement remonter à helios, le soleil des Grecs, ou qu'on le rattache au verbe latin allucere (ou aelucere), ou encore à l'élicie, ou l'hélicie de l'ancien français. " Ce feu de gayté suscite en l'esprit des éloèses vives et claires "
MONTAIGNE.
... Dins l'ommbrun de siècle transitori,
Nous laisso veire un eslaci beu : " Dans la transition ténébreuse des siècles, nous laissons voir une éloèse de beauté. F. MISTRAL, L'Archetype
3. – Du latin calorem.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.