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Cest de là que vient le mot portage, dans le sens que lui donnent les Canadiens.
L'Acadie n'a pas connu les véritables coureux-de-bois. Un portage, ici, c'est toute forêt, tout bois quelconque, que l'on rencontre le long des routes. Les Anglais nous ont pris ce terme.
Le portage n'était pas inconnu, en France, au temps de Louis XIII ; mais c'était et c'est encore, un terme plutôt maritime. Aux Îles-Madeleine, le mot s'applique à tout cours d'eau, ou passage gelé, qu'on peut franchir en traîne1.
Les coureux-de-bois laissaient, quelquefois, par précaution, dans des endroits secrets et sûrs, le long des routes, des provisions ou des amunitions2 pour le retour. Ces dépots s'appellent des caches.
Afin de pouvoir retracer leur chemin, et pour ne pas s'écarter3, ceux qui s'aventurent en plein bois font, en passant, une entaille particulière aux arbres. Ces entailles, qui marquent la route à suivre, s'appellent plaques ; une route plaquée est tout aisée à suivre.
On se sert, aujourd'hui, d'arbres plaqués (blaised, en anglais) plus particulièrement pour tracer les lignes4 séparant les terres en bois debout et marquer le trécarré5.
Toute terre était boisée, à l'exception des mammequais, des margoulis, des mocauques, des platiers, des platains, des plaines, des barachois, des plairies, des dunes, des marais et des baissières6
Les essences d'âbres7 étaient, pour la plupart, les mêmes que celles de France ; pins, sapins, cèdres, érables, hêtres, merisiers, bouleaux, cormiers, coudriers, saules, etc.

1. – Traineau.
2. – Ancien mot français que les Anglais ont conservé.
3. – S'égarer, se perdre.
4. – Lignes de démarcation de terrain, entre propriétaires voisins. Le sens particulier de ce mot nous vient, je crois, de l'anglais line.
5. – L'extrémité, la limite des lots, ou concessions de terrain, octroyés par le gouvernement. C'est ce qu'en Poitou on appelle la devise.
6. – Terrains bas et marécageux. Platier, platain et plaines sont presque des synonymes. "Nonobstant qu'il semble y avoir plusieurs hables (havres) n'y a que des basses et plateis (sic)". Voyage de Jacques Cartier.
7. – Au temps de Vaugelas et avant lui, on disait âbre, au lieu de arbre, en France, même à la cour ; on laissait tomber le premier des deux r.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.