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dames de son adversaire. Si le plus faible pouvait faire tric-trac, la partie était nulle1.
On jouait aussi aux cartes, aux trois-sept (que les Canadiens appellent les quatre-sept), où le dix et le neuf sont les deux plus fortes cartes ; à la brisque, où le gros et le petit major sont les deux maîtresses cartes ; au loup, au truc.
Durant le carême, tous les amusements cessaient. Pas de chansons, non plus. Au lieu de chansons, des complaintes et des cantiques ; à la place des jeux, le chapelet, dit en commun.
Le jeûne, un jeûne de 1a dernière rigueur, était religieusement observé par tous ceux qui avaient passé vingt et un ans, et n'en avaient pas soixante.

La Nourriture

Un siècle et demi d'exil sous une domination étrangère et longtemps hostile, sans relation aucune avec la France et les choses de France, a creusé un fossé entre les coutumes domestiques d'empremier et celles d'aujourd'hui, lesquelles, de force, visent l'imitation anglaise. Plusieurs vieilles traditions agricoles et culinaires se sont en outre perdues à vivre aux bords de la mer, dans le dénuement complet des choses nécessaires à la vie.
Comment peut-il en être autrement quand nous savons qu'àprès le Grand-Dérangement2, des familles ont vécu des années et des années, sans manger de pain blanc, le bon pain blanc de France, si abondant à Beaubassin, aux Mines, à Port-Royal, dans toute la vieille Acadie perdue. Pour ceux-là, pour leurs enfants, en tout cas, l'art de cultiver le blé et de boulanger le pain n'était plus qu'un souvenir imprécis.
Avec le hareng et les coquillages, ce qui sauva de la mort ceux des Acadiens qui s'en sauvèrent, ce furent les pommes de

1. – Faire tric-trac, c'est mettre deux dames en telle position qu'il est impossible à l'adversaire de les renfermer ou de les manger.
2. – La déportation des Acadiens et leur spoliation, en 1755.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.