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On veillait toujours à la clairté1, sous le regard plus ou moins vigilant des mères.
Chance2, pour un jeune homme empâté3, lingard4, longis5, les côtes sur le longs6, s'il avait de quoi7. Cela seul pouvait le racheter, et encore.
Il y avait aussi l'écueil des parents à éviter. Un garçon ne devait pas s'atermoyer8 à veiller trop tard. Il lui fallait à toutes restes9 déraper10 sur les onze heures. Au force-aille11, pouvait-il rester jusqu'à mênuit12, s'ils étaient promis13.
Une coutume, ou plutôt l'absence d'une coutume, qu'on peut dire universelle, se faisait remarquer en Acadie : personne ne se becquait14 devant le monde, les amoureux, les fiancés, moins que tout autre. Un houme15 n'embrasse pas sa femme en présence d'un tiers, même en partant pour un long voyage, même en arrivant. Une mère n'embrasse pas son enfant, s'il est grandet, ou si elle est grandette16. Cette pudeur étrange nous vient de la Bretagne.
L'amour s'appelle de l'amitié en Acadie. Une amie, c'est une amoureuse.

1. – A la clarté, dans une pièce éclairée.
Nous avons clair, clairté, éclairer, le français a clair et clarté, déclarer et éclairer.
2. – Nous disons aussi : par chance si, heureusement que.
3. – Lourdaud.
4. – Mince, efflanqué.
5. – Lent, paresseux.
6. – Peu débrouillard.
7. – De quoi vivre, des moyens, du bien.
8. – S'attarder. Au Palais, on dit : atermoyé, pour renvoyer à un autre terme. Nous avons aussi termoyer : tarder, lambiner.
9. – A toute force ; de toute nécessité.
10. – Lever l'ancre, déguerpir. Terme maritime d'un emploi familier.
11. – Au pis aller.
12. – Minuit. On dit mênuit en Berry et aussi en Normandie.
13. – Engagés, fiancés.
14. – Se baiser, s'embrasser sur le bec, c'est-à-dire, sur la bouche.
15. – Un mari.
16. – Pubère.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.