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Les Canadiens, apparemment plus pudibonds encore que nous, disent :
Nous irons jouer dans l'île.
En Acadie, une petite fille jouera, sans se compromettre, avec une catin1, et un jeune homme peut, sans inconvénient, aller voir les filles2.
Une jeune fille peut se laisser honnêtement courtiser par son amant, et être chastement sa maitresse3.
Dans un pays où les jeunes filles se mariaient entre quatorze et dix-huit ans, les garçons entre dix-huit et vingt-et-un, et où les familles de douze enfants et plus n'étaient pas rares, le diable perdait le meilleur des droits qu'il prélève ordinairement sur les infractions du sixième et du neuvième commandement. Jamais de naissance illégitime, et jamais d'adultère, en Acadie, avant le Grand-Dérangement.
Pour tout çà4, la jeunesse est la jeunesse, et tous les tempéraments ne se ressemblent pas, celui des jeunes filles pas plus que celui des garçons.
Une jeune fille un peu garçonnière était une jambreteuse, voire, une coureuse. Elle avait le pied poudreux ; elle pouvait même être sergaillonne. Si elle l'était trop, elle forlaquait, elle était forlaque5, (ou forlacque). La langue ne connaissait pas d'expression plus forte.

1. – Poupée.
2. – Se prend en bonne part pour jeunes filles.
3. – Maitresse se dit aussi pour institutrice : une maitresse, sous entendu, d'école.
4. – Je ne connais pas de termes français qui rende adéquatement cette locution adverbiale, néanmoins s'en rapproche beaucoup.
5. – "Je l'étranglerais... s'il fallait qu'elle forelignât de l'honnêteté de sa mère," dit Mme DE SOTTEVILLE, dans George Dandin de Molière.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.