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CHAPITRE XX



Comme1 une langue évolue


La langue française, nous l'avons vu, est d'extraction populaire. Elle est née obscurément du commerce violent de soldats romains avec d'honnêtes femmes celtiques et de hardies aventurières franques et tudesques. D'hairage (race) et par tempérament, elle est latine.
La gestation en fut longue. Ce n'était qu'un avorton, à sa naissance, ou, pour parler vulgairement, une ourse mal léchée. Elle se " traîna longtemps sur ses pieds et sur ses mains ", et ne se débarrassa que par les petits (petit à petit) de ses premiers drapeaux et langes. Ses formes furent longtemps ingrates et ses vagissements indistincts.
Les troubadours de Provence, cependant, lui trouvèrent des charmes. Ils l'adoptèrent, à cause du joli timbre de sa voix, et lui firent chanter leurs lais d'amour.
Les trouvères de Picardie, de Normandie, de l'Ile-de-France, furent à leur tour, frappés de sa joliesse, et lui donnèrent aussi leurs chansons à composer. Sa voix s'affermit et prit du timbre, de l'ampleur, de la consistance, et bientôt sa " parleure " devint la plus " délitable "1 de toute l'Europe.
Puis les grammariens vinrent avec leurs grimoires, qui lui donnèrent une constitution ; les rois de France lui octroyèrent un état civil, après l'avoir anoblie. Finalement les grands écrivains du XVIIe siècle, le siècle où fut fondé Port-Royal d'Acadie, en firent la langue policée, claire, harmonieuse, pleine de soleil, la " langue humaine " que nous parlons.

1. – Les écrivains diraient plutôt comment, aujourd'hui.
2. – Brunetto LATINI, XIIIe siècle.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.