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CHAPITRE XXI



L'Anglicisme


La perversion, si je puis dire, de notre idiome en est arrivée au point que des publicistes canadiens1 ont jeté le cri d'alarme : L'anglicisme, voilà l'ennemi.
L'anglicisme n'est pas nécessairement un ennemi. Tout au contraire, il serait possible d'en faire un ami, c'est-à-dire un instrument de richesse pour notre parler franco-canadien, s'il était canalisé à la manière des réservoirs d'irrigation, de façon que le débordement de ses eaux n'atteignît que les tiges languissantes, les mots étiolés, les locutions désuètes. Le mal ne serait pas grand si, à côté d'une expression veule, il en faisait croître une autre, plus forte, plus vigoureuse et marquée à l'effigie royale de la langue française.
L'anglais, lui, ne se gêne guère, ne s'est jamais gêné pour prendre, à droite et à gauche, son bien, et même, et surtout, le bien des autres, pour en enrichir son vocabulaire, devenu, grâce à ces larcins, plus étendu et peut-être plus complet que celui d'aucun autre idiome ancien ou moderne2.
La formation de vocables nouveaux, durant la période du développement, d'une langue, se fait principalement par le larcin, ou, si vous préférez, l'emprunt, de mots pris à d'autres langues, antérieures ou contemporaines, vivantes ou mortes. La première langue humaine contenait, en puissance toutes les autres langues, comme dans " la cuisse d'Adam " était renfermée la suite de toutes les générations humaines ; comme l'univers entier est sorti, possiblement, d'un seul atome, rempli de la toute puissance de Dieu.
La langue des hommes est capable de rendre une variété presque infinie de sons. Toutes les voix entendues dans la

1. – M. TARDIVEL, dans La Vérité de Québec.
2. – Il compte, aujourd'hui, plus de 300,000 mots.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.