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que c'est là une belle et bonne vieille expression française, que nos pères ont apportée avec eux de France, dans leur baggage linguistique, et nullement une plate traduction anglaise.
Ce sont les Anglais, qui nous doivent la chose, d'abord, magasin et marchandises, puisque leur première civilisation leur vient de France. Ils nous doivent aussi le mot, dry, qui n'est que la traduction de sèche.
Ce n'est ici qu'une traduction, un léger larcin. La plupart du temps, c'est le mot tout entier qu'ils nous prennent. Il y en a comme cela plus de 20,000 dans leur langue, qu'ils nous ont chippés, sans que nous nous en doutions, et sans qu'eux-mêmes, aujourd'hui, s'en doutent1.
Quelques-uns de ces mots, oubliés et perdus, en France, parce que la langue officielle les a méprisés, les a laissés tomber, nous reviennent, boiteux, déformés, mal greyés2, à peine reconnaissables : ticket, par exemple, formé de étiquette (quoique le radical du mot soit germanique), dont le sens a changé un peu en passant d'une langue à l'autre ; reporter, que nous devrions écrire rapporteur, comme font les écoliers, puisque nous avons le mot rapport ; expresse, pour messagerie, qui n'est autre qu'un ancien courrier exprès ; crémeur3, et combien d'autres ?
L'hypothèque, en anglais mortgage, était inconnue, chez nous, le mot et la chose, avant la conquête. Certains marchands anglais s'en sont fait un instrument à nous prendre nos terres, nous laissant le mot en échange. Le troc est inégal. Nous avons le droit du premier occupant sur le tout : terres et vocable. Ce mot hybride, mort-gage, que nous devons aux Anglais, les Anglais le tiennent directement des Français. Cotgrave, XVIe siècle, le relève dans son dictionnaire. Aujourd'hui encore, en Picardie, un gage qui n'a pas été retiré, devient la propriété du prêteur, est un mort-gage.

1. – " Les Anglais ne se refusent aucun des mots dont ils ont besoin . "
FÉNÉLON. Lettres à l'Académie.
2. – Mal accoutrés
3. – " Crêmeur... A creamy or milky disposition. " COTGRAVE, Dictionnaire, XVIe siècle.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.