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" Mis (mon) langages est buens (bon), car en France sui nez. "
Dans le champ de la linguistique, où tout a été fouillé, cueilli, examiné, analysé, comparé, classé, étiqueté, la découverte d'un nouvel épi, la trouvaille d'une nouvelle tige, même d'une feuille perdue, prend les proportions d'un évènement, pour les collectionneurs. C'est qu'un mot retrouvé est quelquefois une clef.
En lisant les vieux auteurs, et plus particulièrement Rabelais, il m'est arrivé plusieurs fois de pouvoir me passer de notes explicatives du commentateur. L'antique signification des mots que celui-ci expliquait : " mots qui avaient, au moyen âge, des formes et des sens perdus depuis " (Gaston PARIS), m'était familièrement connue. C'était le sens courant de cheux nous. Mes compatriotes acadiens n'en connaissent pas d'autres1.
Quelquefois même, il m'a semblé que le véritable sens du mot n'était pas tout à fait celui de l'explication du bas de la page, que c'était celui qu'on trouvait dans la bouche de nos gens.
Madame de Sévigné a des mots, des locutions, qu'il faut aujourd'hui expliquer, en France, et qui s'entendent couramment en Acadie.
Comme tout ce qui vit, un dialecte parlé, travaille sur lui-même, altère ses formes, arrondit ses contours, use insensiblement ses mots. Mais les mots se raccommodent comme des vêtements, ou se retrempent comme des outils. Quand ils deviennent hors d'usage, le peuple les retape ; à ceux qui sont émoussés, il donne un nouveau taillant ; il les imprime, comme disent nos gens. Quelques-uns sont écourtés, d'autres rallongés. Ce n'est que lorsqu'ils sont devenus veules, que le peuple les rejette, pour les remplacer par des équivalents plus vigoureux, ou plus sonores.
Plusieurs mots ont conservé, dans le parler des Acadiens, le sens qu'ils avaient à l'origine même de la langue, et qu'ils n'ont plus au dictionnaire académique.
Quand les possesseurs d'un idiome vivant - et toute langue parlée est un idiome vivant - sont géographiquement isolés, ou

1. – Rabelais était de Chinon, Indre-et-Loire, peu distant du Berri. Il séjourna assez longtemps en Poitou.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.