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NOTE



Qu'on me permette de signaler les quatre faits suivants à ceux - et ils sont nombreux, paraît-il, - qui tiennent mordicus, malgré les preuves du contraire, à rejeter l'odieux de la responsabilité de l'expulsion des Acadiens sur les autorités britanniques et non sur Lawrence. Voici:

1° Comment se fait-il que Lawrence, qui avait l'habitude d'écrire régulièrement une ou deux longues dépêches chaque mois, soit au secrétaire d'État, soit aux lords commissaires du Commerce et des Colonies, ait gardé le silence du 18 juillet au 18 octobre 1755, soit trois mois? C'est lui-même qui nous apprend ce fait par sa lettre du 18 octobre 1755 à sir Thomas Robinson, secrétaire d'État, en disant: "Depuis ma dernière lettre du 18 juillet 1755."

2° Si Lawrence eût reçu l'autorisation de chasser les Acadiens, peut-on croire qu'il eût fait des excuses au comte d'Halifax, président des lords commissaires du Commerce et des Colonies, pour son silence de trois mois envers lui, comme le prouve le passage suivant de sa longue dépêche du 9 décembre 1755, savoir: "Si en cette circonstance ("expulsion de ces misérables et perfides Français Neutres") ou en toute autre occasion J'AI NÉGLIGÉ DE SOUMETTRE à Votre Seigneurie ou au Bureau des lords commissaires LES AFFAIRES SUR LESQUELLES J'AURAIS DÛ ÉCRIRE OU DONNER DES EXPLICATIONS, c'est que la multiplicité DES AFFAIRES GRAVES que j'avais à régler justifierait CES OMISSIONS dans une certaine mesure." Ailleurs, au cours de cette même dépêche, il ose dire qu'il n'aurait pu accomplir ce forfait si, à cette époque, il y eut eu une Chambre d'Assemblée à Halifax.

3° Si Lawrence n'était pas le vrai coupable, pourquoi aurait-il, par sa lettre du 30 novembre 1755, fait à sir Thomas Robinson la confession suivante qui établit clairement, sans ambiguïté, que la responsabilité de la déportation des Acadiens retombe uniquement sur lui et son Conseil, savoir: "NOUS AVONS ALORS JUGÉ qu'il était grand temps d'agir - tant pour l'honneur de Sa Majesté que pour la conservation de cette province - nous avons jugé, dis-je, qu'il était grand temps QUE LES HABITANTS FRANÇAIS, ceux qui n'avaient pas abandonné leurs terres comme ceux qui les avaient abandonnées, FUSSENT EMBARQUÉS SUR LES TRANSPORTS, MIS HORS DE LA PROVINCE ET DISPERSÉS DANS LES COLONIES AVOISINANTES."

Est-ce assez clair, assez convaincant?

4° Il ne faut pas oublier que SIX MOIS avant que Lawrence eût décrété en son Conseil la déportation des Acadiens, il écrivait en date du 30 janvier 1755, au lieutenant-colonel Robert Monckton, alors à Boston, occupé à lever un régiment de troupes irrégulières pour s'emparer des forts Beauséjour et Gaspareau, il écrivait, dis-je, en parlant des Acadiens du district de Chignictou, comme suit: "Je ne demanderais à aucun d'eux de prêter le serment, vu que la prestation du serment NOUS LIERAIT LES MAINS ET NOUS EMPÊCHERAIT DE LES CHASSER DANS LE CAS OÙ, COMME JE LE PRÉVOIS, LA CHOSE DEVIENDRA NÉCESSAIRE."

À mon humble avis, ces quatre faits indéniables sont plus que suffisants pour jeter sur Lawrence tout l'odieux de la responsabilité de la déportation de nos pères.





Source : GAUDET, Placide. Le Grand Dérangement : Sur qui retombe la responsabilité de l'Expulsion des Acadiens, Ottawa, Ottawa Printing, 1922, 84 p.